Le moment gênant #1

Comment une expérience théâtrale de spectatrice conduit à une prise de conscience du vécu masculin du harcèlement sexuel…

J’ai écrit ce texte en janvier 2016 et n’ai pas trouvé de support pour le publier à ce moment-là, mais depuis ce blog est né, et puisque le mot harcèlement est devenu le hashtag le plus viral de la webosphère, il me semble que ce texte a sa place ici.

Le moment gênant #1

La semaine dernière, j’ai vu une super pièce au tnba, à Bordeaux. Intitulée Nobody, cette œuvre forte fait un portrait au vitriol (formules de critiques Télérama, je vous aime) du monde de l’entreprise dans notre cruelle époque (où va le monde ma pov’ dame je vous le demande?).

Le pitch de la pièce par ici

Je pourrais vous en parler ici longuement tellement le collectif La Carte Blanche mérite louange pour son travail. Mais comme de une, j’ai déjà rabâché les oreilles de mon entourage avec, et que, de deux, ce n’est pas le sujet qui m’amène, mais simplement son contexte, je vous laisse vous renseigner vous-même sur ce bijou noir et acidulé. Bref. Dépeignant sans concession l’ambiance de travail dans une start up contemporaine un rien hype, en mode open space et jeunes cadres ambitieux, la pièce met en scène les rapports sans pitié entre des employés aux dents qui rayent le parquet -flottant bien entendu-. A peu près aux 2/3 de la pièce, un cap est franchi, les personnages ont des comportements de plus en plus borderline et on assiste à la scène suivante. Une employée féminine, jeune et belle, est rejointe à la photocopieuse par un de ses collègues masculins, nouvellement arrivé dans l’entreprise. Alors qu’elle demande à son collègue si il sait utiliser la machine, et lui donne des consignes de base, bien qu’il lui réponde en balbutiant qu’il n’en a nul besoin, ses propos dérapent soudain. Au milieu d’une phrase anodine, elle lui glisse : embrasse-moi. Il est interloqué. Quelques secondes plus tard, elle y va carrément : « tu me retournes et tu me prends sur la photocopieuse, qu’est ce que tu attends ? ». Dans la salle autour de moi, les premiers rires fusent. Je ris un peu aussi, les zygomatiques mus surtout par l’effet de surprise du au changement de registre, comme ceux de la plupart des gens, j’imagine. Sur scène, la femme reprend, face à son collègue gêné, muet et mal à l’aise. « Je plaisante, si on peut plus rigoler » et conclut en partant d’un rire sonore. En passant derrière son collègue pour retourner à son bureau, elle s’approche de lui et lui pince la fesse. La encore, les rires fusent. Moi je ne ris plus. Quelque chose me met profondément mal à l’aise dans l’hilarité du public, sans que sur le moment, prise dans l’action théâtrale, je ne puisse l’identifier clairement et surtout, le nommer.

Mais avec le recul, en sortant du théâtre, quelques heures plus tard, je mets les mots adéquats dessus. Harcèlement sexuel. Oui, ce que le metteur en scène nous a montré ce soir-là, c’est un épisode de harcèlement sexuel au travail. Oh la, comme elle y va, vous dites-vous peut-être à cet instant.

Ok. Reprenons les faits. Cette scène nous présente dans un cadre professionnel une femme, qui tient à un homme qui est en position d’infériorité hiérarchique (il vient d’arriver, ne connait pas l’entreprise, est moins expérimenté qu’elle, pas encore légitime en quelque sorte, il doit encore « faire ses preuves ») des propos à caractère explicitement sexuel. Comment l’homme réagit-il ? Est-il enthousiaste, semble t’il répondre aux avances de la femme ? Non, pas le moins du monde. Il semble gêné. Face à cela, la femme change t’elle de comportement ? Non, elle passe au harcèlement physique avec un attouchement non consenti sur une partie sexualisée du corps de l’homme, à savoir son fessier. Toutes les caractéristiques du harcèlement sexuel sont réunies. Imaginons la situation inversée. Si c’était un homme qui se comportait ainsi face à une nouvelle collègue, la scène serait-elle perçue comme comique ? Personnellement, je ne le crois pas. Pourtant dans le cas de figure inverse, la réaction de la salle a été le rire. Interloquée, je me demande donc pourquoi ?

Certes, la harceleuse n’a pas le profil attendu. Elle est jeune, jolie, pleine d’humour. Loin du cliché du vieux libidineux en cravate qui met la main aux fesses à la petite stagiaire à la machine à café.

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Alors remettons les choses en contexte. L’univers sait que je suis féministe, et surtout, profondément égalitariste. A ce titre, je trouve par exemple que la galanterie n’a plus lieu d’être en ce qu’elle constitue une survivance machiste et je tiens le plus souvent la porte aux hommes. Je ne me laisse inviter au restaurant que dans la perspective de rendre cette invitation et la phrase « on partage la note », même prononcée lors d’un premier rencard, ne m’offusque pas le moins du monde, bien au contraire.

Je me dis donc, que si le harcèlement des femmes au travail est généralisé -comme l’a récemment démontré de manière pandémique le hashtag #balancetonporc- et que celles-ci en souffrent et luttent apparemment pour la prise au sérieux de cette problématique -il est parfois difficile de faire admettre qu’une blague à caractère sexuel, une fois répétée 50 fois ou envoyée sur un numéro personnel à 3h du mat’, n’est pas ou plus « juste une blague »- ce n’est vraiment pas le moment de décrédibiliser celui des hommes. Halte aux idées reçues ! Non, harcèlement n’est pas toujours synonyme de vilain monsieur à mains baladeuses. Non, les agresseurs ne sont pas exclusivement des hommes, et les victimes des femmes. La prochaine fois que vous voyez un homme visiblement très mal à l’aise se faire peloter le fessier par une femme -ou qui que ce soit- évitez de ricaner, l’égalité des sexes vous en saura gré !

PS : Récemment, j’ai pas mal vu tourner dans mon réseau facebook une vidéo de l’humoriste Haroun – découvert à cette occasion – et qui je pense illustre à merveille mon propos, tout en étant, je vous l’accorde, vachement moins rébarbative.

Jetez-y donc un œil par ici : Haroun – Le harcélement sexuel